Rome, entre invasions, pandémies et catastrophes naturelles, a dû repenser plusieurs fois ses espaces après la chute de l’Empire Romain, afin de satisfaire ses besoins. Un tissu urbain étroitement interconnecté et densément peuplé s’est transformé en une multitude de noyaux isolés et souvent autosuffisants, tandis que la nature a repris ses droits en investissant les ruines et en laissant de grandes parcelles de terres non cultivées et sauvages.
Arc de Titus, vedute di Roma, Piramèse, ©Wikipédia
L’idée d’une catastrophe imminente implique une réaction rapide afin d’en bloquer ses conséquences (isolement, manque de ressources, dangers extérieurs …). Pour cela, il faut s’interroger sur l’optimisation des ressources par la réutilisation des matériaux, le recyclage des déchets, la production agricole et les systèmes de protection.
Giovannipoli ©newsartecultura
Il est possible de citer plusieurs exemples de lieux romains, dont les fonctions premières ont été détournées au cours des siècles. Par exemple, le mausolée d’Hadrien a été transformé en château avec de grandes douves en forme d’étoile, la Muraille Léonine a été construite pour protéger la Basilique Saint-Pierre et Giovanni Poli, la citadelle/forteresse, pour défendre la Basilique Saint-Paul hors les murs et le Colisée est alors devenu une ville dans la ville.
Le Colisée a été construit par l’empereur Titus Flavius Vespasien, sur une zone précédemment occupée par le lac artificiel de la Domus Aurea de Néron. Sa construction a débuté en 70 après J.-C. et s’est terminée 10 ans plus tard. L’amphithéâtre s’appelait à l’origine « Anfiteatro Flavio » en mémoire du nom de famille des empereurs Vespasien et Titus. Il est ensuite rebaptisé « Colosseo » durant le Moyen-Âge, car devant le monument se dressait une colossale statue de Néron. Cette statue fut détruite, mais le nom est bel et bien resté !
Buste Titus Flavius Vespasien, ©Wikipédia
Long de 189 mètres, large de 156 mètres et haut de plus de 48 mètres, l’amphithéâtre couvre une superficie de 24 000 mètres carrés et pouvait accueillir environ 87.000 spectateurs ! Ceux-ci s’asseyaient dans la « cavea », formée par des marches en briques recouvertes de marbre. L’arène, qui mesurait 76 mètres sur 46, était constituée d’une grande planche de bois recouverte de sable.
Après 450 ans d’activité, l’empereur Valentinien III abolit les jeux de gladiateurs en 435 après J.-C., le Colisée vit une longue phase de déclin, jusqu’à son démantèlement définitif en 523 après J.-C.
Colisée, ©Wikipédia
Dès le IV siècle, le Colisée va devenir une ressource précieuse de matériaux. Ainsi, les blocs de travertin sont peu à peu démontés pour être soit utilisés pour d’autres constructions soit réduits en poudre pour en faire de la chaux. C’est à cette même période que les romains perçoivent le potentiel qu’offrent les hauts murs du Colisée, idéals pour se protéger des intrus. Ainsi, c’est un véritable village qui va se construire dans l’ancienne arène : des habitations, des boutiques, un cimetière … Ces structures vont être maintenues jusqu’au XIX siècle !
Carte médiéval, au centre le Colisée, ©Wikipédia
En 847 après J.-C., un tremblement de terre endommage gravement les murs extérieurs et les deux déambulatoires. Le bâtiment, comme tout Rome, commence à devenir une carrière à ciel ouvert. Aujourd’hui, du fait du manque de documentation concernant la planification précise pour le recyclage des matériaux et la réutilisation des espaces, il est difficile de tracer avec certitude la chronologie des interventions.
Emblème de la famille des Frangipanes, ©Wikipédia
Néanmoins, ce qui est certain, selon des sources des XII et XIII siècles, c’est que la domination du Colisée, par sa position stratégique, passe entre les mains d’importantes familles romaines, comme les Frangipanes et les Annibaldi. Les Frangipanes condamnent les arcs de la façade nord-est et construisent une tour et une forteresse pour défendre leur propriété dans la zone (qui s’étend du Cirque Maxime au Forum, du Palatin à la vallée du Colisée). Les Annibaldi quant à eux font probablement construire un bâtiment à l’intérieur du Colisée.
Peu de documents décrivent clairement la réhabilitation des arcs et de l’arène du Colisée entre le XIe et le XIIIe siècle, mais nous savons que le Colisée reste sous la propriété et l’administration de la Basilique de Santa Maria Nova. Celle-ci accorde des concessions aux familles et aux particuliers qui peuvent utiliser des parties du bâtiment, généralement à des fins d’entrepôts, d’écuries, de laboratoires ou d’habitations. Chaque arc, chaque crypte, vit une vie qui lui est propre et évolue sans véritable relation chronologique ou fonctionnelle, mais simplement selon l’usage des différents locataires. Les objets découverts sur place, les incisions murales, les traces de modifications structurelles nous permettent d’émettre une hypothèse sur l’utilisation de ces espaces.
John Warwick Smith – An Interior View of the Colosseum, Rome, XVIII, ©Wikipedia
Il faut imaginer un bâtiment très différent de celui actuel. Pour se sentir plus protégé, les arches sont condamnées, le bâtiment devient alors sombre, malodorant, labyrinthique, envahi par la fumée des aliments cuits à l’intérieur sans véritables cheminées. L’édifice est divisé en tranches. Celles-ci sont louées séparément, parfois partagées, souvent divisées en hauteur par des mezzanines rudimentaires. Des traces de mangeoire ont été découvertes au sol, souvent débarrassées du revêtement en travertin d’origine, et de mezzanines, probablement destinées au foin pour nourrir le bétail.
La présence d’animaux dans le Colisée est démontrée par les 296 attaches murales. Les archéologues étudiant ces trous placés à des hauteurs variables ont révélé une grande variété d’animaux domestiques, attachés à une hauteur confortable non pas tant pour le propriétaire que pour les caractéristiques et les habitudes de l’animal lui-même. Les animaux sont élevés de telle sorte que leur exploitation se fasse progressivement, en suivant les différentes étapes de croissance, sans affecter leur intégrité physique, et donc leur puissance physique. Les chercheurs ont analysé la hauteur des anneaux d’attache afin de déterminer quelles espèces auraient vécu dans le Colisée à cette époque. Ainsi, trois grandes catégories ont été identifiées : de gros animaux comme les chevaux, les ânes et les vaches, des animaux de taille moyenne comme les moutons et les chèvres, et enfin de petits animaux..
Berger avec son troupeau sous les arches du Colisée, juile sur toile, XIX siècle, ©Wikipedia
Compte tenu des conditions difficiles à l’intérieur du bâtiment, on suppose que cette utilisation, ainsi que celle des entrepôts alimentaires, était peut-être liée à celle de l’hébergement de fortune et temporaire des bergers, les agriculteurs et le bétail qui, originaires de la campagne, venaient en ville traversant les terres des riches familles romaines, pour apporter la récolte et les animaux pour la consommation de la ville.
Dans ce contexte, la zone de l’arène désormais entièrement souterraine était devenue un lieu d’usage commun, une sorte de place dans le microcosme du Colisée, traversée par la rue qui s’ouvrait de la Porta Trionfale à la Porta Libitinaria.
Franz ludwig catel, Dans le Colisée vers 1823, ©Wikipedia
La présence d’animaux de trait dans les contextes urbains anciens est un phénomène largement documenté car ils étaient chargés de la plupart des opérations de transformation et de transport des biens de consommation destinés à la vie collective. Le broyage des céréales, le remorquage des véhicules et le transport étaient des services assurés par des chevaux et des bovins dont la main-d’œuvre constituait l’énergie essentielle à l’activation de machines simples, largement répandues dans tout le monde antique. Au IV siècle après J.-C. les catalogues régionaux mentionnent la présence de nombreux « pistores » à Rome, chargés de la mouture du grain. L’existence d’une petite pièce servant d’écurie, attenante à l’espace dans lequel se trouve la meule, est documentée par exemple dans la Maison des Vestales du Forum Romain. Chevaux, mulets, ânes et bœufs apparaissent au VIe siècle dans les descriptions de la Rome de Théodoric.
Le nombre d’animaux dans les zones urbaines a notamment eu une crise, à tel point que lors de l’assaut de Rome en 537 par les Goths, le petit nombre d’animaux de trait présents provoqua rapidement leur disparition à des fins alimentaires. La raréfaction des animaux atteint en effet son apogée à l’été 538, lorsque les spécimens survivants, carcasses de mulets souvent morts de faim, sont vendus au marché noir, intégrant la collection d’herbes sauvages qui poussent partout dans la ville.
La tradition d’une Rome traversée par les moutons et les bovins remonte au Moyen Âge jusqu’à presque nos jours, nous rappelant le caractère rural du Latium et la coexistence de ces deux mondes que l’on peut encore expérimenter aujourd’hui lors d’une promenade sur la Via Appia Antica à la rencontre des quelques troupeaux qui paissent encore dans nos parcs urbains
Pour aller plus loin :
De nouvelles recherches archéologiques et scientifiques tentent de mieux comprendre les causes de la chute de l’empire romain d’Occident. L’émission Qui a tué l’empire romain, proposée par Arte, nous interroge : les changements climatiques et les pandémies, ne seraient-ils pas les véritables responsables de la chute de l’empire ?